Le deuxième film du « Projet Itoh » (après The Empire of Corpses, décevant, sorti le 20 juillet). Nous sommes cette fois dans le futur, en 2075, après une guerre nucléaire — le « Maelström » — qui a failli causer la fin de l’espèce humaine. Le Japon est devenu une société en apparence idéale où chacun vit en parfaite santé grâce à un système de surveillance médicale implanté dans le corps dès la naissance. Le logiciel « WatchMe » s’active à l’âge adulte et impose en continu ses diktats hygiénistes à une population normée, policée et docile — « harmonisée » — qui ne connaît plus ni maladie ni douleur. Une forme intolérable de soumission selon Miach, lycéenne d’allure éthérée, mystérieuse, qui caresse le projet d’échapper au joug de WatchMe par le suicide. Charismatique, la princesse n’est pas seule, elle a deux suivantes de son âge, Tuan et Cian, qu’elle élève peu à peu à sa conscience du monde. Le trio saute le pas en ingérant des gélules fatales…
Le thème du suicide d’adolescents n’est guère surprenant dans une œuvre japonaise, l’archipel connaissant un fort taux de mortalité dans cette tranche d’âge. Cela dit, le propos de l’histoire n’est pas du tout d’attaquer de front ce problème actuel de la société nipponne. La tentative de suicide des jeunes filles, outre son caractère tragique et romantique (le trio entretient une relation de dominante à dominées, mais les filles sont aussi liées par un sentiment amoureux), permet au groupe d’éclater, chacune suivant une destinée différente : Miach meurt, Cian survit et rentre dans le rang, Tuan échappe également à la mort et devient plus tard agent de l’Hélix, une division de l’OMS qui l’envoie aux quatre coins du monde dans les zones de conflit. Tuan profite de ses séjours à l’étranger pour consommer des produits devenus illicites au Japon, tels que l’alcool, jusqu’à ce qu’elle soit renvoyée dans ses foyers. Son retour au pays va coïncider avec une vague de milliers de suicides simultanés. Des morts qui ne sont volontaires qu’en apparence, guidées de façon invisible par un groupuscule terroriste sur lequel Tuan va enquêter.
La recherche de l’identité des criminels et de leurs motivations constitue la trame principale d’Harmony, mais ce n’est pas l’aspect le plus intéressant du film. Le montage réserve des flashbacks réguliers mettant en scène le groupe de filles avant leur tentative de suicide, et ces passages ne cessent de charmer, bulles d’érotisme sage dans lesquelles la troublante Miach dispense son idéologie de sédition d’une voix chantante et cristalline. Ensuite, le profil psychologique de Tuan à l’âge adulte est un portrait passionnant auquel on s’identifie immédiatement : électron libre individualiste au cœur d’une société qui met au ban toute préoccupation égoïste, la jeune femme est à elle seule une poche de résistance face à la doxa dominante. Seule à se vêtir de rouge et de noir, Tuan effraie ses compatriotes aux couleurs pastels qui, dès le premier abord, ne la perçoivent pas comme une des leurs — ce qui est parfaitement vrai, Tuan s’évadant du Japon grâce à ses missions pour l’OMS. Une position qui, du reste, ne la satisfait pas : naviguant dans une sorte d’entre-deux, elle se juge indigne de son amante défunte Miach, dont le souvenir la hante et qui, en ne ratant pas son suicide, a accompli son geste ultime de révolte.
Enfin, un autre portrait s’avère fascinant, celui de cette société utopique/dystopique où l’individu abdique face au collectif, où la conscience de soi s’efface au profit d’un altruisme de chaque instant. Pour tout adversaire du « politiquement correct », c’est un véritable cauchemar où tous les aspects des relations humaines sont lissés, aseptisés, afin qu’aucune attitude ne puisse un tant soit peu nuire au bien-être physique et psychologique des personnes et, partant, de la société tout entière. Et cet enfer de bonté est donc régulé par le fameux « WatchMe », le logiciel de surveillance médicale, qui se manifeste en permanence à l’échelle des individus via un système de lentilles oculaires fonctionnant selon le principe de la réalité augmentée, indiquant en temps réel au porteur ce qui est jugé bon ou mauvais pour la santé. Le principe est horriblement intrusif, il nie la liberté de choix, mais si le concept vendu tel quel ferait aujourd’hui hurler, il n’est pas absurde d’imaginer qu’il pourrait un jour s’immiscer par petites touches dans nos vies, nous gangrénant, pourquoi pas, via les innombrables applis censées nous simplifier l’existence…
Véritable œuvre prospective dans la lignée de grands titres aux thématiques voisines et captivantes (on songe, entre autres, aux romans Un Bonheur insoutenable d’Ira Levin et au Meilleur des mondes d’Huxley), Harmony, n’oublions pas de le signaler, est également servi par une animation et un design fabuleux. C’est un véritable poème visuel qui, malgré un rythme lent, susceptible de lasser quelques spectateurs, et deux ou trois affèteries de mise en scène (la caméra exécute parfois d’amples travellings très voyants et sans justification narrative), s’impose comme un des titres de S.F. incontournables de l’année. Le film de Michael Arias et Takashi Nakamura sera disponible dès le 24 août 2016 en combo blu-ray + DVD chez l’éditeur @Anime.