Elle a fait la couverture des Inrocks, décroché le premier rôle d’un film de Steven Soderbergh (The Girlfriend Experience, 2009), pris part à Smash Cut, comédie gore canadienne où apparaissent aussi David Hess et Michael Berryman… Sasha Grey est, à 22 ans, l’une des seules hardeuses à réussir à se construire une carrière de comédienne dans le circuit classique. Vise-t-elle pour autant une reconversion pour s’évader du monde du X ? Certainement pas. La girl next door la plus célèbre du porno US entend bien jouer sur les deux tableaux, comme le prouve sa toute récente prestation dans ce Malice in Lalaland, qui comporte son lot de scènes « explicites » exécutées en bonne et due forme. Bon, je sais qu’on n’a pas coutume de causer fesse sur Khimaira, alors je vais devoir me trouver un alibi en béton. La courte bande annonce américaine, très élusive, ne devrait pas effaroucher même les mirettes les plus chastes :
Comme le suggère le titre, Malice… est une variation d’Alice au Pays des merveilles et d’À Travers le miroir de Lewis Carroll. Malice (Grey) végète sanglée sur un lit d’hôpital psy, à la merci de Jack Jabbowsky, un gardien libidineux lui-même un peu dérangé du carafon (campé par le dénommé Dirty Fred). Voilà-t-y pas qu’un soir, un drôle de petit lapin fait son apparition dans la chambre. Il défait les liens et invite la jeune femme à le suivre. L’évasion n’aboutira pas au « pays des merveilles » mais quelque part dans le désert Mojave où, de motels en bars de strip-tease, les attendent des rencontres pittoresques. Mais attention : vertement engueulé par le Dr. Queenie (Andy San Dimas), la directrice goulue autant qu’autoritaire de l’asile, le gardien Jack s’est lancé aux trousses de la fuyarde…
Interprété par un nain affublé d’un costume similaire à celui du lapin de Donnie Darko, le bunny sauveur de Malice a ravivé chez moi le souvenir hilare d’une scène de Ça tourne à Manhattan de Tom DiCillo, satire du monde du cinéma arty new-yorkais. Le héros, réalisateur d’un film indépendant, embauche un comédien nain pour les besoins d’une scène onirique. Le gars interroge le metteur en scène (je cite le dialogue de mémoire) : « Cette apparition onirique, pourquoi faut-il que ce soit un nain ? » — « Eh bien, c’est un rêve, il faut que ce soit bizarre ! » — « C’est n’importe quoi ! Tu en fais souvent, toi, des rêves où il y a des nains ? ». Imparable ! Mais la démonstration n’a pas été retenue par tout le monde, pour preuve le lapinou noiraud de Malice…, joué par Stephen Powers, midget de son état.
Mis à part ce cliché ringard (en fait, plus personne n’aurait dû employer de comédien de petite taille à des fins surréalistes après Twin Peaks de David Lynch), Malice in Lalaland est plutôt bien fichu, en dépit d’un canevas de road-movie décevant qui se résume à un jeu de cache-cache entre l’héroïne et Jack, le maton pervers. Le réalisateur Louis « Lew » Xypher, sujet du roi des Belges exilé aux USA, a employé au mieux l’enveloppe de 250.000 billets verts sortie des caisses de Miss Lucifer, la jeune boîte de production. Une somme ridicule (et même une misère comparée aux frais engagés dans n’importe quelle série B tournée dans un coin de Californie), mais l’objectif avoué était pourtant de livrer un métrage visuellement comparable à un film mainstream. Malgré quelques raccords de montage franchement limite, Xypher donne le change grâce à un cadre en CinemaScope du plus bel effet. On a droit à de courtes séquences animées façon comics, à des effets spéciaux, une course-poursuite se concluant par une explosion… Quant aux scènes de sexe, elles sont d’une facture parfois originale, comme cette séquence entre deux stripeuses dont les corps ont l’air de se distordre, leurs ébats étant matés par une Sasha Grey ayant croqué dans un champignon magique. Seul bémol : le hard rock stoner qui rythme la plupart des coïts ne casse pas des briques, seulement les tympans. Sasha s’envoie en l’air dans deux scènes hard. L’une est un trio lesbien devant un feu de cheminée, l’autre est un one-on-one avec un sosie vestimentaire d’Hunter S. Thompson (le père du journalisme gonzo) s’amusant avec un très gros masque de « Cheshire Cat ». Quant au Chapelier fou du roman d’origine, il se réincarne en clone de Slash, avec longues bouclettes noires et chapeau haut-de-forme, attributs caractéristiques de l’ex-guitariste de Guns’n’Roses. Le personnage tient un baisodrome dont l’exploration donne lieu à un hommage inattendu à Alphaville de Jean-Luc Godard ! Une idée peut-être amenée par Sasha Grey elle-même, admiratrice déclarée de l’œuvre du cinéaste suisse.
Il faudrait qu’un spirite demande au fantôme de Lewis Carroll s’il apprécie une telle récupération sex & rock’n’roll de son œuvre, qui aura donné lieu à un joli paquet d’adaptations à l’écran, la dernière en date étant bien sûr celle de Tim Burton avec Johnny Depp. Le prochain titre à se réclamer d’Alice ? Peut-être la version concoctée par Marylin Manson. Initiée en 2006, la production de Phantasmagoria: The Visions of Lewis Carroll a connu un million de déboires, à tel point qu’on se demande si on pourra voir le film un jour. Phantasmagoria est censé mettre en scène Manson lui-même incarnant un Lewis Carroll isolé dans un sombre château et hanté par des apparitions fantomatiques de la jeune Alice… Un projet qui s’annonce gothique en diable. Et pour conclure avec la vedette de Malice…, Sasha Grey sera l’an prochain à l’affiche du thriller I Melt With You de Mark Pellington (réalisateur de l’excellent Arlington Road, avec Tim Robbins et Jeff Bridges, et de La Prophétie des ombres avec Richard Gere). Elle y donnera la réplique à Carla Cugino et Rob Lowe.
Distribué en France par la société Colmax, Malice in Lalaland sera visible en décembre exclusivement sur le site FilmoTV. Il sera par la suite accessible sur la plupart des autres plateformes de VOD.
Cliquez sur l’affiche pour accéder au site officiel (en anglais, of course)…