Nous avons entre les mains le deuxième volume des Dossiers Cthulhu, et il est plutôt amusant de comparer les récits d’horreur de James Lovegrove et ce qui faisait la particularité d’Arthur Conan Doyle : le créateur de Sherlock Holmes, faut-il le rappeler, croyait dur comme fer à l’au-delà et au monde des esprits. L’homme défendait une conception de l’occulte selon laquelle nos chers disparus viendraient nous visiter en secret et en toute amitié, et il soutenait également mordicus, même face aux plus sceptiques, que les fées, merveilleuses petites créatures, pouvaient surgir sans crier gare au détour d’un bosquet et s’offrir au regard du promeneur ébloui. Doyle, féru de photographie spirite, se promenait parfois dans la nature, équipé de son appareil, pour immortaliser le tableau de pareilles rencontres.
Les Dossiers Cthulhu n’ont rien de comparable avec les convictions charmantes de Sir Arthur. Dans Les Ombres de Shadwell, le premier tome paru l’an dernier, Holmes et Watson ont reçu la révélation de la réalité des Grands Anciens, les dieux terrifiants de la cosmogonie imaginée par H.P. Lovecraft. Loin de basculer dans la folie (pourtant l’issue fatale d’une telle révélation, selon les écrits du « reclus de Providence »), le détective et son ami médecin n’ont eu de cesse, depuis, de lutter contre les forces du mal tout en préservant à tout prix le secret de leur abominable existence. Les Monstruosités du Miskatonic débute en 1895, soit quinze ans après les faits relatés dans Les Ombres de Shadwell. La quarantaine passée, Sherlock Holmes est toujours un cerveau des plus brillants, mais c’est aussi et désormais un homme éprouvé par son addiction à la cocaïne. Le docteur Watson, quant à lui, est endeuillé par le décès tragique et violent de son épouse. C’est alors qu’une nouvelle affaire surnaturelle va mettre à l’épreuve la sagacité et la témérité du fameux limier et de son fidèle partenaire…
Le livre fait l’impression d’un grimoire, tant l’édition est belle (comme le précédent volet, Les Monstruosités du Miskatonic a droit à une couverture magnifique avec dorures et à une impression sur un papier chaud). L’intrigue imaginée par James Lovegrove est à la hauteur du luxe du support : rondement menée par Holmes et Watson, l’enquête aborde le cas étrange d’un patient d’asile psychiatrique, un Américain anonyme, estropié, qui a en outre la particularité de maîtriser l’écriture du r’lyehien, la langue des Grands Anciens et de leurs adorateurs. Il serait pervers, voire criminel d’en révéler davantage, alors je dirai seulement qu’une fois le roman entamé, il est difficile de le lâcher : Lovegrove concocte un mélange d’une habileté redoutable entre le canon holmésien et les épouvantes issues du bestiaire propre à Lovecraft. Lugubres ou sauvages, les décors de l’aventure fouettent l’imagination autant qu’ils soutiennent un climat de mystère permanent, et les joutes verbales comme les dialogues complices entre Holmes et Watson sont portés par un style riche, d’un classicisme délicieux, en parfait accord avec la culture et l’esprit affuté des personnages. Ajoutons enfin que l’imagination morbide de l’auteur tourne à plein régime, et que les monstruosités promises par le titre vous attendent bien au détour de nombreuses pages. Tout cela donne un second tome palpitant, supérieur au premier, qu’on dévore donc sans modération aucune. Cela va sans dire, privilégiez une lecture nocturne, en ne réchauffant le cœur des ténèbres que par la flamme solitaire d’une bougie… Rendez-vous est pris l’an prochain pour l’ultime épisode et l’aboutissement de ce surprenant projet de trilogie.
En librairie depuis le 20 février 2019.