Sophistication et trivialité. Deux pôles a priori antagonistes que le giallo, au travers de mises en scène aussi meurtrières qu’esthétisantes, voire grandiloquentes, se plaît à marier depuis cinquante ans. Bien sûr, le genre est tombé en désuétude depuis les années 1960-70, son âge d’or, mais des fulgurances vermillon illuminent encore ici et là les écrans. Il y a deux ans, Hélène Cattet et Bruno Forzani ont rendu un hommage inspiré au genre transalpin en signant le somptueux Amer. Une œuvre-prototype autant admirée que détestée, certains regrettant l’approche intellectuelle du couple de cinéastes. Impossible de faire le même reproche à cet autre duo français, François Gaillard et Christophe Robin. Après Blackaria, les deux amis clament à nouveau leur amour du giallo en persistant dans la voie du film sacrilège où les plaisirs du sexe s’accordent avec les joies de la torture et du sang versé.
Cinq amis pénètrent pour le week-end dans une belle villa du sud. Les y attend, en principe, la maîtresse des lieux, cousine de Catherine, une des trois filles de la bande. Mais l’endroit paraît désert, et pour cause : la belle Alexandra Ventura, nous l’avons vu dans la scène d’ouverture, a succombé un peu plus tôt dans son salon sous le fil d’un hachoir. Les heures à venir vont s’avérer sanglantes…
Film référentiel, Last Caress est parsemé de clins d’œil à plusieurs titres célèbres, à Suspiria (pas un giallo au sens strict, mais les puristes me pardonneront), à Ténèbres, dont les auteurs reproduisent, lors d’une mise à mort, le visuel de l’affiche, ou encore à La Mort caresse à minuit (1972) de Luciano Ercoli (pour le titre, même si Last Caress est aussi une chanson de Metallica, et pour l’arme de poing hérissée de piquants dont se sert l’un des tueurs du film). Les réalisateurs témoignent aussi leur affection pour d’autres genres dont sont friands les amateurs de curiosités fétichistes. Une séquence marquante, en flashback, met en scène une sorcière fustigée par une ribambelle de nonnes perverses. Entrevue dans la bande annonce, la scène nous offre une suppliciée dénudée au visage implorant mais dont le regard trahit un soupçon de plaisir extatique. La séquence, à la fois troublante et assez rock’n’roll (la caméra zoome comme si l’objectif était pris d’une érection), renvoie à une cinématographie éloignée (en tout cas géographiquement) de l’univers giallesco, celle, japonaise, du « pinku eiga ». Ainsi, Le Couvent de la bête sacrée (1974) de Norifumi Suzuki renferme un passage identique où d’honorables bonnes sœurs, pour la plupart lesbiennes pratiquantes, se rendent coupables d’étourdissants débordements sadiques.
Cette scène de Last Caress n’est pas la seule à s’aventurer sur les territoires du film érotique. Avant de les jeter en pâture au tueur ganté de cuir qui sévit tout au long du métrage, les auteurs se régalent à filmer leurs actrices sous tous les angles, quitte à les faire évoluer comme si elles se livraient à un défilé de lingerie. Cela dit, les ébats sexuels des personnages, qui savourent les plaisirs de la petite mort avant de subir les affres de la vraie, restent sagement mis en scène. Une scène de lit entre deux filles, Claudine et Sélène, est ainsi purement escamotée après de jolis attouchements préliminaires. On n’est pas non plus en train de mater un porno, c’est sûr, mais la bande annonce aguichante (le mot « teaser » prend tout son sens) laissait augurer moins de pudeur. La plus grande audace de Gaillard et Robin réside dans une belle trouvaille où Thanatos fait un croche-patte à Eros : lors d’une autre scène de sexe, la même Claudine, alanguie sur un tapis, reçoit sur son visage et sa poitrine un substitut d’éjaculation aussi sanglant qu’abondant, son partenaire masculin se retrouvant, les yeux exorbités, égorgé en plein coït !
Malgré un petit budget, le film est visuellement superbe, et on ne peut que complimenter une fois encore l’excellent travail d’Anna Naigeon, la chef op’ (au même poste sur Blackaria, et qui tient aussi le rôle de Claudine). Cependant, ces qualités étant posées, il faut aussi avouer que ce second long métrage de Gaillard et Robin peut déplaire par son côté simpliste, voire carrément naïf, qui tranche avec la volonté des auteurs de signer une œuvre sulfureuse. L’intrigue, sommaire, ne tient pas la route, elle n’est qu’un prétexte, et si l’on s’attend à savourer un bon suspense, on reste sur sa faim. Enfin, et c’était déjà dans le cas dans Blackaria, l’interprétation est très inégale, les comédiens n’étant du reste pas aidés par un dialogue besogneux qui s’égare dans des formulations désuètes, même si l’action du film semble se dérouler dans les années 1980 (dans la première séquence, par exemple, une fille parle de son « petit ami »). Last Caress s’apprécie surtout comme une récréation, comme une sucrerie acidulée vite consommée (72 minutes) qui saura titiller les papilles des cinéphiles joyeusement pervers. Gaillard et Robin font preuve d’un vrai sens de l’image, il leur reste à présent à trouver un scénario digne de ce nom pour dépasser le stade de l’exercice de style et signer, peut-être, un métrage qui fera date.
Last Caress a beau avoir été tourné en 2010, il n’est pour l’instant visible que dans une édition dvd allemande sous le titre Glam Gore (d’où l’existence de cette critique). On vous tient bien sûr au courant dès que l’édition française pointe le bout son nez (on espère qu’elle regorgera d’autant de suppléments que le dvd de Blackaria). Ci-dessous, bande annonce, teaser et photos. Vous trouverez également des images du tournage sur le site officiel du film et, si vous avez 20 minutes, jetez un œil à Die Die My Darling, court métrage qui fouette les sangs, tourné en 2011 par François Gaillard tout seul, sans son sidekick Robin.