Entre quatre planches comme entre quatre murs ! L’enfermement, le huis clos, la claustration étaient cette année au cœur du Festival de Gérardmer. Dans cette 27ème édition, les histoires furent légion dans lesquelles les protagonistes voient leur périmètre d’action méchamment limité, et pour toutes sortes de raisons, climatiques, religieuses, psychiatriques… Même les grands espaces canadiens et les étendues océaniques ont fait d’un coup figures de prison. Circuit au flambeau dans le dédale de la sélection. Ne perdez pas le guide !
Les festivités débutent avec Snatchers, une comédie ado qui exploite tous les clichés du teen movie US typique qu’on nous sert encore et encore, suivant une recette aussi immuable que celle du Big Mac : une héroïne vierge (qui ne le reste pas longtemps, on va voir pourquoi), des greluches débiles et « populaires » qui jacassent à la cantine du lycée, un spécimen de choix de sportif bas du front guidé par son bas-ventre, une nerd à lunettes… Tout ce petit monde est rassemblé dans le cadre pour nous conter l’histoire d’une invasion : de retour d’un séjour au Mexique, le boyfriend musclé de Sara (la vierge susnommée) déflore la demoiselle sans capote et l’engrosse après trente secondes de coït et un déplorable orgasme unilatéral. Le lendemain matin, Sara s’éveille avec le ventre rond d’une quasi-parturiente. De quoi est-elle sur le point d’accoucher ?
Snatchers est la version long métrage d’un court tourné il y a cinq ans par le duo de réalisateurs, Stephen Cedars et Benji Kleiman (ils s’entendent comme larrons en foire, se connaissant depuis l’école primaire). De quoi parle-t-on au juste dans le film ? D’un thème pas toujours rigolo, celui des grossesses accidentelles chez les ados, ici traité, comme Juno en 2007, sur le mode de la comédie. Cela dit, l’argument sociétal passe au second plan au profit de la trame horrifique, introduite par l’idée d’une infection chopée au sud du Rio Grande, une sorte de MST précolombienne surnaturelle susceptible de faire se répandre une progéniture dévastatrice — et ne pensant elle-même qu’à se reproduire — sur le sol américain. À une époque où D. Trump et nombreux de ses concitoyens rêvent de stopper net toute l’immigration latino, la métaphore fait grincer des dents. Alors peu importe le rythme enjoué, la loufoquerie des situations (l’humour est souvent forcé, mais c’est quand même drôle), les dialogues mitraillettes bourrés d’argot djeuns et les effets spéciaux latex à l’ancienne, Snatchers laisse surtout un arrière-goût acide de propagande xénophobe. Ajoutons un message réac pour couronner le tout — baisez pas, les jeunes, où vous vous en mordrez les doigts ! — et la coupe est pleine. On pouvait rêver mieux pour une soirée d’ouverture. Next ? Next.
De ce côté-ci de l’Atlantique, on ne se rend pas toujours compte que le lointain état du Texas, avec une superficie de près de 700.000 km², est un territoire un peu plus grand que la France. Là-bas, il n’y a donc pas que des cow-boys et des psychopathes à tronçonneuses, mais aussi toutes sortes de gens, par exemple des livreurs de pizzas ou même des émules sataniques des Desperate Housewives. Voilà ce qu’on découvre devant Satanic Panic, qui débute comme une vidéo porno : une jolie livreuse de pizzas sonne à la porte d’une villa cossue au cœur d’un ghetto résidentiel pour riches Texans. Toutefois elle ne tombe pas, derrière la porte, sur un groupe de nantis en pleine orgie (quoique l’hypothèse soit évoquée trois minutes plus tôt dans le dialogue), mais sur une réunion de lucifériens friqués s’apprêtant à célébrer une messe noire. Ne manque qu’une vierge à sacrifier pour assurer le succès de leur soirée…
De son vrai nom Chelsea Peters, Chelsea Stardust a débuté dans le monde du cinéma comme assistante dans la boîte de production Blumhouse. Ceci est son premier long métrage de cinéaste et il a le tort d’arriver à Gérardmer six mois après la sortie en salles de l’excellent Ready Or Not, doté d’un scénario similaire mais aussi d’une réalisation plus percutante, maîtrisée et enlevée. On suit donc l’opposition entre une jeune femme candide et une assemblée de bourgeois sanguinaires qui la prennent en chasse. Parfois un peu à la peine question rythme, Satanic Panic a néanmoins ses propres atouts, à savoir, pour l’essentiel, un discours politique marxiste illustrant le concept de lutte des classes par l’affrontement à mort d’un Calimero prolo au féminin contre une secte idolâtrant aussi bien Satan que le dieu Dollar. Le prétexte qui met les deux parties en présence n’est pas des mieux trouvés (m’enfin, comment imaginer que des rupins satanistes se fassent livrer des pizzas pour leur soirée d’invocation à Baphomet ?) et, en dépit du titre prometteur, le cardiomètre ne s’emballe pas souvent, la soirée de cauchemar de la « pizza girl » ne s’avérant pour le spectateur guère plus effrayante qu’un épisode de Scooby-Doo. Cependant cette aventure nocturne récréative produite sous l’égide de Fangoria se suit sans déplaisir aucun, et on va guetter d’un œil bien ouvert les futurs travaux de Chelsea Stardust, à qui on souhaite la bienvenue dans le cercle (encore petit, mais ça évolue dans le bon sens — voir ci-après) des réalisatrices de l’horreur.
Plus proche de nous géographiquement, on tombe aussi sur de jeunes dames intelligentes, souriantes, élégantes, et tenant à tout prix à nous malmener le cœur et l’âme en les immergeant dans des ambiances délétères. C’est le cas de l’Anglaise Rose Glass, native du Royaume-Uni qui, Brexit oblige, arriva cette année à Gérardmer en citoyenne européenne pour en repartir simple Britannique. Oui mais surtout, Rose, en rentrant chez elle, a dû franchir les frontières la valise chargée de quatre récompenses ! Premier long métrage de la cinéaste, Saint Maud a embarqué public et jurys dans un voyage sous forme de chemin de croix, explorant les ténèbres du fanatisme religieux. Dans une station balnéaire décrépite de la côte anglaise, Maud la garde-malade entre au service d’Amanda, ex-danseuse et chorégraphe en phase avancée de cancer. Amanda appartient au monde du spectacle, vivier de pécheurs en tout genre qui ne se soucient guère du salut de leur âme. Maud, de son côté, entend la voix de Dieu lui parler. Outre les soins palliatifs qu’elle doit dispenser, l’infirmière se donne pour mission d’attirer Amanda dans la lumière du Seigneur. Un sacerdoce qui tourne vite à l’obsession…
Le portrait de la bigote est triste et passionnant : Maud est une femme jeune, d’une nature sensible, elle est en outre jolie, elle pourrait a priori trouver sa place dans la société si ce n’étaient les barreaux de la terrible prison mentale qu’elle a elle-même édifiés. « Tu es la personne la plus solitaire que j’aie jamais rencontrée », lui avoue Amanda. Solitaire et surtout démente, mais loin d’en faire une simple psychopathe de plus dans le cinéma d’horreur (car sa schizophrénie religieuse fait d’elle quelqu’un de dangereux), Rose Glass élabore un personnage tout en nuances et ambivalence. Maud fait encore des efforts pour se faire accepter par ses semblables. On devine qu’elle a eu une vie sexuelle active et même aventureuse avant de tomber dans le mysticisme. D’où une figure complexe, comme un puzzle à reconstituer pour les férus d’analyse psychologique (ou, plus généralement, pour les adeptes des plongées artistiques dans les cortex cérébraux perturbés — si vous aimez L’Échelle de Jacob d’Adrian Lyne, Psychose ou même The Voices de Marjane Satrapi, Maud vous tend les bras). Le film est court (1h24) et dense, très abouti visuellement (en plus d’un patronyme classe, Rose Glass a du style) et porté par une comédienne, Morfydd Clark, pour qui on aurait volontiers plaidé pour un prix d’interprétation s’il y en avait eu un prévu au palmarès. Saint Maud remporte tout de même et rien moins que le Grand Prix, le Prix de la Critique, celui du Jury Jeunes de la Région Grand Est et le Prix Sacem de la bande originale (saluant le score du compositeur Adam Janota Bzowski). Un hold-up comme on en a rarement vu aux abords du lac gérômois. Sortie du film en salles le 24 juin 2020 mais vous pouvez tout de suite lire ce que la réalisatrice a à dire sur son film dans notre entretien avec Rose Glass mis en ligne au lendemain du festival.
Les volontaires pour vivre des expériences de cloisonnement étaient donc à la fête cette année avec une ribambelle de films où l’on peut partager le sort peu enviable de personnages coincés dans des espaces fermés. Veronika Franz et Severin Fiala, réalisateurs autrichiens connus des festivaliers pour avoir tourné — en allemand — Goodnight Mommy (présenté en compétition en 2016) reviennent dans la sélection de Gérardmer avec The Lodge, anglophone et hors compète. L’atmosphère potentiellement claustrophobique de la salle obscure est décuplé, à l’écran, par une accumulation de lieux clos, en l’occurrence des pièces d’habitation étroites et des couloirs à l’avenant, figurant autant de boîtes dans lesquelles tournent en rond un trio de personnages : isolés dans un chalet en pleine nature américaine enneigée, deux enfants — le préado Aidan et sa petite sœur Mia — passent plusieurs jours cloîtrés à attendre Noël en compagnie de Grace, leur future belle-mère. Une jolie cheminée, un lac gelé pour patiner, The Thing de John Carpenter qui passe à la télé… Ils auraient tout pour être heureux sauf que les deux gamins haïssent Grace, qu’ils jugent responsable de la séparation de leurs parents. La pauvre a beau faire tous les efforts du monde, pas moyen de briser la glace…
Le duo de réalisateurs a-t-il cherché à conclure une sorte de diptyque ? On se pose la question, The Lodge reproduisant ni plus ni moins le huis clos de Goodnight Mommy, avec deux gosses vivant une cohabitation tendue, jusqu’au bout de l’angoisse, avec une personne qu’ils considèrent comme une étrangère. Dans le chalet des phénomènes étranges se produisent, des objets sont déplacés, disparaissent, comme si une présence invisible rôdait entre les boiseries. Regarde-t-on un film de fantôme ? En tout cas de hantise. Le scénario joue avec les attentes des habitués du genre, s’amusant à suggérer de faux coups de théâtre (quitte à imposer des artefacts narratifs peu vraisemblables). À certains le film pourra sembler irrespirable (n’y envoyez surtout pas un dépressif !), à d’autres banalement long et ennuyeux, mais reconnaissons qu’il est cruel, pour ses spectateurs, cueillis dès les premières minutes par un uppercut filmique (un suicide face caméra fait frémir la salle), comme pour ses héros, à qui les scénaristes n’épargnent rien. En outre, d’un point de vue thématique, The Lodge justifie sa présence dans la sélection en répondant à Saint Maud, traitant aussi de la question de l’emprise mentale des mouvements religieux sectaires. Je n’en dirai pas plus.
Dans The Lodge cité plus haut, un des personnages se risque à partir errer dans la neige pour suivre ses propres traces de pas et revenir à son point de départ. La séquence peut faire songer à un fameux gag de Tintin au Pays de l’or noir, cependant on pense aussi à la mésaventure vécue par Tom et Gemma, jeune couple en quête de nouveau logement dans Vivarium de Lorcan Finnegan. Abandonnés en pleine visite d’un pavillon par un étrange agent immobilier, les tourtereaux se rendent compte que le quartier résidentiel désert où ils se sont laissés piéger est une espèce de dimension parallèle labyrinthique : impossible de sortir de là, les rangées de bicoques, toutes identiques, s’étendent à perte de vue et les rues n’ont pas d’autre vocation que celle de les faire tourner en rond. La vie risque de paraître bien morne dans cet environnement, quoiqu’une livraison devant la porte, aussi mystérieuse qu’inattendue, risque de mettre les nerfs du couple à l’épreuve.
L’Irlandais Lorcan Finnegan mélange La Quatrième Dimension, le surréalisme coloré de Magritte et les hallucinations picturales d’Escher pour aboutir à un drôle de film conceptuel, marqué par une forte identité visuelle. Les petites maisons toutes pareilles, le ciel d’un bleu immuable, la bouffe sous vide insipide déposée anonymement participent d’une métaphore ludique sur l’individualité menacée, sur le lissage sournois par les normes et la standardisation à outrance. L’histoire est grinçante, jouée par d’excellents comédiens, Jesse Eisenberg et Imogen Poots, mais aussi et surtout le jeune Senan Jennings, 7 ans au moment du tournage et véritable petit cauchemar sur pieds, comme l’incarnation d’un monde à la George Orwell où tous les gamins sortiraient d’un moule. Curieux, tout de même, que certains festivaliers, dans les discussions post-projo, aient fait la fine bouche en trouvant le film répétitif. Vivarium, c’est vrai, n’obtiendra rien au palmarès, ce qui est un peu dur. Le film est hors norme (c’était la moindre des choses) et il sort le 11 mars en salles. Notre interview avec le réalisateur.
À Gérardmer, on ne fait pas que voir des films en avant-première. On peut aussi (re)découvrir des classiques sur grand écran, des titres plus ou moins récents tels que ceux de la rétrospective « Dans les griffes du cinéma de genre français » (Coralie Fargeat, Alexandre Aja, Christophe Gans, Xavier Gens et plein d’autres étaient dans les Vosges pour accompagner les projos de Revenge, Haute Tension, Le Pacte des loups, The Divide, etc. — 17 films en tout !). Cette année, il y avait aussi au programme une Nuit Hammer (trois films dont Dr Jekyll & Sister Hyde de Roy Ward Baker) et une sélection « Rétromania » qui proposait de revoir le légendaire Häxan (1922) de Benjamin Christenssen, Le Crocodile de la mort (1976) de Tobe Hooper (j’en cause dans notre dossier cinéma spécial Crocodiles, allez-y faire un tour) et Les Lèvres rouges (1971) du Belge Harry Kümel. Ce dernier était là en chair et en os pour introduire son film sur la scène du cinéma du casino, et tout le monde a bien ri lorsque l’intéressé a exhumé quelques souvenirs drolatiques d’il y a 50 ans, avec quelques digressions le conduisant au passage à descendre L’avventura d’Antonioni, « un très mauvais film, prétentieux comme tout » !
Bon, M. Kümel est libre de ses opinions (et de tirer à balles réelles sur le cadavre de l’illustre Michelangelo), d’autant que le réalisateur se montre plutôt modeste au sujet de son propre long métrage, qui « n’est pas mal » et, malgré les décennies, « tient encore la route ». Soit une adaptation contemporaine (et belge — ça se passe à Ostende) de l’histoire de la célèbre comtesse vampire Bathory. Un couple de jeunes mariés (joué par Danielle Ouimet et John Karlen) échoue dans un palace désert, précédant de peu Elisabeth Bathory et sa secrétaire Ilona. Les amoureux tombent dans les griffes de la comtesse, à qui ils ont tapé dans l’œil… L’image est très belle, et l’ambiance hivernale fait d’Ostende et sa plage, à la morte saison, un endroit fantastique. Mais sinon il ne se passe pas grand-chose, avec des vampires qui ne sautent pas souvent à la gorge des gens et se contentent d’un jeu de séduction gentiment érotique, balançant entre saphisme et échangisme. La secrétaire et amante Ilona est interprétée par l’Allemande Andrea Rau (qui, un peu plus tard, posa dans « Lui ») et Bathory par Delphine Seyrig, alors au sommet de sa popularité dans le cinéma français (elle venait de jouer dans Peau d’âne de Jacques Demy et devait l’année suivante tenir l’un des rôles principaux de Le Charme discret de la bourgeoisie de Buñuel). Quant à l’Américain John Karlen, qui joue le mari, il est décédé en Californie le 20 janvier dernier, soit une dizaine de jours à peine avant le coup d’envoi de ce festival 2020 ! Harry Kümel aurait été inspiré de lui dédier cette projection. Il n’était peut-être pas au courant.
Attardons-nous encore en marge de la compétition avec I See You, bon thriller US dans lequel Adam Randall, réalisateur anglais, dirige Helen Hunt. La comédienne eut quelques titres de gloire dans les années 1990 (Twister, Kiss of Death, Seul au monde, la série TV Mad About You) avant, finalement, de passer un peu à côté du vedettariat. On a donc ici la surprise de la retrouver dans le rôle de Jackie, épouse infidèle d’un inspecteur de police. Le flic cocufié, Greg, en plus de ses problèmes conjugaux, doit enquêter sur une série de disparitions d’ados rappelant une affaire criminelle similaire censément bouclée depuis des années…
I See You, je viens de le préciser, est donc un thriller. Voilà un exemple de film qui se trompe de festival, ayant plus sa place à Beaune, par exemple, que dans une sélection en principe dévolue au fantastique. Mais on n’est pas sectaire, surtout que les méandres du scénario attestent d’une écriture maîtrisée, et on s’accroche très vite à l’histoire comme aux chapitres d’un « page-turner ». En plus, on apprend du vocabulaire, avec l’emploi dans le dialogue d’un néologisme tiré de l’argot urbain, que sûrement pas de mal de monde ignorait en entrant dans la salle et qui désigne une pratique clandestine originale, quoique discutable. Rien de sexuel, hein, du calme ! Et inutile de vous montrer pressants : je ne reproduirai pas dans ces lignes le vocable en question (qu’on ne m’accuse pas de gâcher le suspense en incitant le lecteur innocent à chercher une définition sur Google !).
Retour dans la compétition avec The Room, autrement dit « la chambre ». Le mot désigne une pièce dissimulée que découvrent Matt et Kate, un couple occupé à refaire la décoration de leur tout récent achat immobilier. Encore une vieille masure d’aspect inquiétant et, comme de bien entendu, isolée. Pourquoi les personnages des films d’épouvante s’obstinent-ils à élire domicile dans ce genre d’endroit ? Dans le cas présent, il y a « de l’espace » et de « belles hauteurs sous plafond », me souffle Stéphane Plaza. Et même un sacré « potentiel » puisque la pièce cachée du titre constitue le cœur d’un mystérieux dispositif permettant à qui s’y trouve de voir tous ses désirs exaucés ! Illico, Matt et Kate laissent de côté les pinceaux et diffèrent l’ouverture des derniers cartons pour se faire offrir comme une liste de Noël démentielle. L’orgie de cadeaux s’arrête d’elle-même quand Kate prend l’initiative de formuler un vœu très particulier…
Comme Vivarium, The Room séduit par son petit côté « Twlight Zone » (on songe à l’épisode Nick of Time, dans lequel William Shatner s’amuse avec une machine diseuse de bonne aventure). Et comme dans la série de Rod Serling, il y a une morale : quel intérêt trouverait-on à la vie si tout ce que l’on désirait nous était servi sur un plateau ? Et surtout verrait-on s’effacer nos plus élémentaires principes moraux ? Précipités dans un véritable cauchemar, les héros de l’histoire sont forcés de se poser ce genre de question existentielle et de comprendre que miser quoi que ce soit sur la providence est un fantasme illusoire. Il n’y a pas non plus matière à noircir huit pages de copie le jour du bac de philo, mais après tout, dans des circonstances similaires (une fortune gagnée au loto ?), sommes-nous sûrs qu’on se comporterait autrement ? Bref, pour peu qu’on sache encaisser encore un huis clos (la caméra ne sort presque pas de la maison), The Room est un « ride » agréable à suivre, en compagnie de Kevin Janssens et Olga Kurylenko (qui jouent les protagonistes principaux). Tout en s’avérant aussi un peu frustrant : des origines de l’endroit on n’apprend rien, et il faut accepter « la pièce » pour ce qu’elle est, un objet magique tel la lampe d’Aladin. Le film est une coproduction entre la France, la Belgique et le Luxembourg, et la mise en scène est signée Christian Volckman (vous avez peut-être vu Renaissance, son premier long métrage, film d’animation S.F. de 2006). Sortie de The Room au cinéma le 25 mars.
J’ai vécu un dilemme le dernier jour du festival : le dimanche matin, devais-je me rendre à la dernière projo officielle de la compétition (Howling Village de Takashi Shimizu, l’homme qui rotait dans le téléphone pour nous faire peur dans Ju-On) ou plutôt à la séance de 11h30 d’Aquaslash, la nouvelle œuvre du réalisateur de Discopath, le Canadien Renaud Gauthier (le film a été projeté une première fois quelques heures plus tôt en double-programme avec Satanic Panic, dans le cadre de la traditionnelle « Nuit décalée ») ? Les dés sont jetés : j’opte pour le slasher aquatique, étant plus d’humeur à rigoler devant des excès sanglants d’inspiration eighties qu’à guetter pendant deux heures des apparitions fantomatiques dans un village nippon (et je dois avouer que je m’étais très ennuyé, à l’époque, devant Ju-On).
Ai-je eu raison ? Là aussi, nous avons du potentiel : la plaquette du festival, p.89, nous promet « meurtres, mystère et bikinis » dans le parc aquatique Wet Valley. L’endroit ludique accueille un contingent de lycéens venus y fêter leur bac. Le week-end s’annonce cool (et toutes les filles sont donc en bikini) mais… un tueur fou qu’on voit se déplacer en caméra subjective (exactement comme l’assassin avec marteau et faucille de Red Is Dead) piège mortellement un des trois tubes du « sea snake », le plus grand toboggan aquatique du parc, en dissimulant à l’intérieur des lames affutées disposées en croix. La grande course annuelle de glissade ne ressemblera à aucune autre !
Quelle est l’identité du tueur ? Son mobile ? De cela on se moque un peu, et les scénaristes aussi, surtout occupés à meubler la projo trois quarts d’heure durant jusqu’à ce qu’enfin débute la course mortelle. Le petit groupe de rock se fait chambrer par les bacheliers ? Peu importe. La femme du directeur cocufie son mari avec un des fêtards ? La belle affaire ! Un des surveillants de baignade se fait lourder à cause de son tempérament orageux ? On s’en tape, vous dis-je ! On veut voir le massacre. Le film tend donc tout entier vers cette scène invraisemblable de découpage à la chaîne, avec des équipes de baigneurs qui s’élancent les unes après les autres dans la gueule fatale du manège (une panne providentielle de talkie-walkie empêche le personnel à l’arrivée d’interrompre les festivités). Il y en a bien pour dix minutes de boucherie non-stop, une sorte de record, mais c’est quand même léger pour justifier un métrage entier, au demeurant assez court (1h12). Quant à Howling Village, le film de Shimizu, il sera distingué le soir même au palmarès en se voyant attribuer le Prix spécial du Jury. Hé oui.
L’enchaînement est facile avec Sea Fever, en compétition, production essentiellement irlandaise (Belgique et Suède ont aussi mis la main à la poche) signée de la réalisatrice Neasa Hardiman, dont c’est le premier long métrage. On s’embarque à bord d’un chalutier sur lequel s’est invitée Siobhán, thésarde en biologie marine venue jeter un œil universitaire sur les mutations de la faune océanique. À bord, l’ambiance est familiale, l’entreprise étant drivée par un couple de quadras, rompus, comme tout leur personnel, aux dures exigences des longues sorties de pêche en haute mer. Mais rien ne pouvait préparer ces gens à l’horreur qui les attend : une créature inconnue enserre le rafiot dans ses tentacules, propageant une infection qui va gagner les membres de l’équipage.
L’antagonisme entre la jeune scientifique rationnelle et les gens de pêche, pétris à la fois de croyances religieuses et de superstitions, conditionne les rapports humains durant la première moitié du métrage (attention, Siobhán est rousse, ça va porter malheur !). Cependant, une fois avérée la menace qui met tout le monde en danger, cette opposition des cultures ne sert plus à grand-chose, et il faut se contenter d’une mécanique narrative à la Dix Petits Nègres, avec des protagonistes touchés les uns après les autres par l’étrange contamination (des vers presque microscopiques qui envahissent les organismes). Non pas que tout cela soit mal amené (et puis passer une heure trente en plein océan n’est pas désagréable), mais Sea Fever arrive après tellement d’histoires similaires (et des succès notables tels que The Thing, pour ne citer que cet exemple) qu’il est très compliqué de se passionner pour celle-ci.
On ne monte pas d’un cran, qualitativement, avec Blood Quantum, production canadienne avec morts-vivants dont l’intérêt principal est ethnographique : réalisé par Jeff Barnaby, qui a grandi dans la réserve de Listuguj en Gaspésie, le film est sans doute le tout premier film de zombies tourné par un Amérindien, en l’occurrence de la nation micmaque. L’essentiel du dialogue est en anglais mais nombreuses sont les répliques en langue locale. L’argument d’une épidémie zombie frappant tout le pays permet au cinéaste et scénariste d’imaginer que les Indiens, constituant un camp fermé de survivants, doivent héberger d’autres rescapés. D’où la situation cocasse de Blancs aux abois réclamant d’être accueillis dans la réserve.
Les scènes gore sont nombreuses, avec du sang, des tripes et des boyaux généreusement répandus (on ouvre aussi les yeux tout ronds devant une fellation qui se conclut en snack cannibale !). Mais c’est surtout un sentiment d’ennui général qui domine : Blood Quantum est un film statique, entendez par là sans réelle progression dramatique, qui s’égare dans le récit oiseux de dissensions au sein du groupe indien (une histoire de bisbille entre deux frangins, dont on se fiche complètement). Une idée fait sourire : la présence insolite d’un vieux Micmac revenu jadis de la guerre du Pacifique (l’action du film se situe en 1981) avec, dans ses bagages, un splendide katana. Tel un samouraï du Canada, le vénérable Gisigu (c’est son nom) taille dans la masse des zombies et fait rouler les têtes en jouant du fil de son auguste lame. Amusant, mais ça n’empêche pas le festivalier fatigué de jeter à sa montre des coups d’œil réguliers.
Le Canada aura été un territoire de cinéma largement représenté dans cette sélection 2020. Outre Aquaslash et Blood Quantum (ainsi que Rabid des jumelles Jen et Sylvia Soska, dont j’ai déjà parlé sur Khimaira), le public gérômois a pu aussi découvrir Répertoire des villes disparues, inscrit dans la compétition. Un film doté d’un beau titre et signé Denis Côté. Direction Irénée-les-Neiges, un patelin au milieu de nulle part comptant 215 âmes moins une : le décès sur la route (une mort accidentelle ? un suicide ?) du jeune Simon Dubé met la population en émoi. Au-delà du drame vécu par la famille du défunt, le village n’a pas besoin d’un tel deuil, le pays se dépeuplant peu à peu. À terme, c’est la bourgade entière qui pourrait disparaître, malgré la mairesse énergique et la volonté des plus irréductibles à s’accrocher à leur tout petit morceau de continent.
La désertification du monde rural est une question d’actualité, et pas seulement au Canada. Qu’elle se retrouve abordée dans la sélection de Gérardmer se justifie par le tour surnaturel que prend l’histoire quand des habitants trépassés, certains depuis longtemps, se mettent à apparaître en cohortes immobiles aux yeux des vivants. Pas question que ces fantômes jouent les esprits frappeurs : ils viennent seulement pour se rappeler aux souvenirs de leurs concitoyens, et perpétuer ainsi la mémoire d’un lieu menacé de s’évanouir. Les intentions de Denis Côté sont nobles, son film est poétique mais aussi très, très lent, et hormis quelques éclairs d’inquiétude lorsqu’apparaissent les spectres silencieux, ce voyage dans le Nord hivernal se double d’un trip jusqu’au bout de l’ennui. Par respect, la salle ne se désertifie pas pour autant, on remarque juste deux ou trois volontés trop faibles pour rester assises jusqu’au bout. On a déjà connu ici des hémorragies de public bien plus importantes.
Pour 500 dollars, seriez-vous prêt à passer la nuit dans une maison hantée ? Début de l’épreuve à minuit tapantes et pas question de sortir avant l’aube. Tout à fait le genre de défi bébête que pourrait relever un groupe d’étudiants dans une série B d’horreur pour ados, pourtant rien à voir avec ce qui nous attend dans The Vigil de Keith Thomas (en compétition). 500 dollars, c’est la somme que négocie Yakov, jeune homme de la communauté juive orthodoxe de Brooklyn, pour faire office une nuit durant de « mosher », c’est-à-dire de veilleur auprès de la dépouille d’un défunt. A priori, rien de tuant, mais ce serait compter sans une présence maléfique qui rôde d’une ombre à l’autre dans la maison…
Les films d’horreur qui puisent leur inspiration dans la culture juive élisent souvent le fameux mythe du Golem comme source d’inspiration, tel le récent — et d’ailleurs très bon — The Golem des frères Paz (voir notre article d’août 2019 Horror, Folklore). Le réalisateur Keith Thomas ne tombe pas dans le cliché, il évite aussi de convoquer le presque aussi célèbre dibbouk pour s’intéresser à un autre démon, le mazik, équivalent hébraïque du poltergeist. Un spécimen de ces créatures maléfiques se cache dans la maison, et le pauvre Yakov va s’en apercevoir au fil de plusieurs scènes tendues écrites et mises en scène avec beaucoup d’imagination par Keith Thomas. Formellement, The Vigil est magnifique (le travail sur la densité des ombres est incroyable) et, même si la dimension psychanalytique du récit n’est pas de la première fraîcheur (la hantise démoniaque comme métaphore du sentiment de culpabilité), on passe un excellent moment à suivre l’aventure surnaturelle du héros, ponctuée en outre de quelques traits d’humour très bienvenus. Et c’est important, car comme disait Desproges, « il faut savoir égayer une veillée funèbre ».
De tous les prix décernés par les différents jurys, il en reste un qu’on n’a pas encore cité : le Prix du Public. Le favori des spectateurs de cette édition 2020 fut 1BR (pour « one bedroom », désignant un appartement de type T2). Et oui, il s’agit encore d’une histoire d’enfermement, cette fois dans une résidence de bon standing de Los Angeles où Sarah vient d’élire domicile. La jolie vingtenaire, venue de la Côte Est, espère entamer un nouveau départ sous le soleil de Californie. Mais c’est à l’ombre qu’elle risque de passer du temps : les occupants des différents logements, qui se retrouvent à l’occasion pour d’aimables barbecues dans la cour et se saluent toujours avec le sourire au gré des couloirs, constituent une assemblée soudée et d’un genre très particulier…
Pas question de trop en dire, sinon que le film est passionnant et réussit à nous faire passer par un éventail très large d’émotions fortes, comme viennent le prouver les réactions vives du public, à plusieurs reprises. L’héroïne est jouée par la dénommée Nicole Brydon Bloom. La comédienne a encore peu de tournages à son actif, et 1BR lui offre son premier rôle d’importance. Mais qui a dit que le manque d’expérience doive être un handicap ? Bloom est excellente dans le rôle de Sarah, l’identification avec le personnage fonctionne à plein régime. Plongée en plein cauchemar existentiel, Sarah traverse une série d’épreuves, lesquelles auront raison — ou pas — de sa volonté et de sa santé mentale. La projection terminée laisse planer un sentiment de peur diffuse en nous prophétisant un avenir résolument dystopique. Il fut un temps où le cinéma d’angoisse aimait nous prendre à la gorge avec des histoires d’extraterrestres qui nous infiltrent pour nous façonner à leur image. Des récits où les individus s’effaçaient irrémédiablement pour laisser la place à une terrifiante pensée unique collectiviste. 1BR montre à quel point les choses ont changé : l’Homme du 21ème siècle a inventé le politiquement correct, la transparence et la « bienveillance », et les scénaristes, aujourd’hui, n’ont plus à convoquer des aliens perfides pour rendre crédible l’avènement d’un monde aux relations sociales lissées et aux pensées (auto-)contrôlées. 1Brrr…
Fini ? Presque. Le palmarès dévoilé et le jury parti dîner, il nous reste à découvrir Warning: Do Not Play, le film de clôture. Il était impossible, dans les années 2000, de passer par les salles obscures de Gérardmer sans y croiser des spectres venus d’Extrême-Orient. Ces manifestations se sont faites plus rares, mais voici qu’arrive cette histoire en provenance de Corée du Sud. Mi-jung est aspirante réalisatrice, elle affectionne les films d’horreur et on porte à sa connaissance l’existence d’un métrage mystérieux jeté aux oubliettes dans lequel apparaîtrait un véritable fantôme…
Mi-jung cherche à mettre la main sur le film maudit et, évidemment, on serait tenté de lui crier de laisser tomber, qu’elle va s’en mordre les doigts. Mais ce serait peine perdue et l’on assiste, impuissant, au destin de la jeune Coréenne qui s’en va plonger dans une dimension effrayante. Quelques idées surnagent, mais le réalisateur Jin-won Kim ne s’affranchit pas des grands principes de mises en scène édifiés par ses prédécesseurs, coréens ou japonais. Warning: Do Not Play conclut le festival 2020 sur une note mineure, mais nous laisse quand même avec la satisfaction d’avoir fait la connaissance de Ye-ji Seo, l’actrice principale, qui a fait ses premières armes de comédienne dans des pubs et des séries télé. Ye-ji joue parfaitement toute la gamme de l’effroi derrière ses grandes lunettes intelligentes, et on pourrait la suivre pendant des heures au cœur des coulisses surnaturelles de Séoul.
Mes vifs remerciements à l’équipe de SG Organisation — Sophie Gaulier et Anthony Humbertclaude —, à celle du Public Système Cinéma et une fois encore aux bataillons de bénévoles qui à chaque séance nous accueillent avec courtoisie, humour et sourire. Rendez-vous l’année prochaine…
Retrouvez nos comptes rendus des précédentes éditions du festival…