Un vrai titre-oxymore, iconoclaste, rigolard, mais n’oublions pas que dans son berceau littéraire d’origine, le pantin imaginé au 19ème siècle par Carlo Collodi est un vilain garnement, désobéissant, aussi crédule que menteur, et tenté par les jouissances au détriment de la morale. En somme, un gnome ligneux pas tellement fréquentable (en tout cas au début de l’histoire) et qu’il n’est pas illogique de retrouver ici, à la faveur d’un court métrage drôle et trash, dans un quartier glauque où rôdent dealers et violeurs d’enfants.
Extrême Pinocchio est le premier volet d’une série encore en gestation de « Contes de l’Extrême », lancée par le Québécois Pascal Chind. Le cinéaste se révèle fort doué dans l’art du pastiche et, devant pareil spectacle, il est difficile de rester de bois. Pinocchio renaît sous les traits d’un nain junkie, Patrick (Christophe Fluder), qui veut décrocher mais se voit contraint de rendre un dernier service à ses fournisseurs de came, le Renard (Jean-François Dérec) et le Chat (Bun-hay Mean). Sa mission : soutirer de l’argent à un pédophile notoire qui a la particularité de se prendre pour Geppetto ! Patrick se déguise en Pinocchio (version Disney) et s’en va frapper à la porte de « papa »…
Il ne faut pas avoir l’estomac fragile pour encaisser le face-à-face entre le prétendu Pinocchio et son géniteur. La tanière de « Geppetto » est un taudis occupé par le comédien Brice Fournier (vu également dans la web-série Lobo), qui donne corps à un monstre à la fois risible et effrayant, un gros dégueulasse en slip que n’aurait pas renié Reiser. Et Collodi ? Impossible de dire si l’auteur italien, écrivain doublé d’un pédagogue, aurait apprécié un détournement aussi joyeusement sordide de son récit, mais il n’aurait pas manqué, j’en suis sûr, de saluer l’habileté du jeu de correspondances entre les personnages et péripéties de l’histoire d’origine et leurs équivalents « extrêmes ». Contrairement à Collodi, Pascal Chind n’accorde pas de rédemption à son petit héros, d’où la morale cash : si tu fais des grosses bêtises, si tu prends de la drogue et vas aux putes, tu es très mal barré ! Pour ses prochains contes horribles — projet au long cours qu’on espère vraiment voir aboutir —, Pascal Chind a l’embarras du choix parmi un large éventail de victimes : Blanche-Neige, Cendrillon, les trois petits cochons… Un potentiel presque infini et sans pareil !
Extrême Pinocchio et son réalisateur sont actuellement embarqués dans une tournée des festivals : le film a été dévoilé au festival Mauvais Genre, à Tours, au printemps dernier (où il a remporté le prix du public), puis à Cannes, Paris, Salt Lake City, Montréal… Le périple doit continuer dans les mois à venir, passant par une multitude de sélections. Guettez la programmation des festivals près de chez vous ! Enfin, Pascal Chind sera prochainement l’invité du sixième numéro de notre émission Le Manoir des Chimères, qui sera mis en ligne d’ici la fin de l’été. Visibles tout de suite ci-dessous, bande annonce et making-of.