Elyose, c’était depuis 2009 un groupe de metal composé de la chanteuse Justine Daaé et de trois garçons. Jusqu’à ce que Justine, dégainant son sabre, invite l’an dernier ses comparses — un peu trop dilettantes à son goût — à enjamber le bastingage et sauter par-dessus bord. Exeunt guitariste, bassiste et batteur ! Fière et seule à la barre, la soprano a entrepris une renaissance artistique, sans rien changer au nom du groupe mais en s’entourant, pour repartir en studio, de nouveaux talents. Le quatrième album d’Elyose, intitulé Persona, sort en février prochain. Interview.
Bonjour Justine, merci de nous accorder cet entretien. J’aimerais commencer par une chose qui me turlupine depuis un certain temps, qui concerne ton nom de famille : est-ce un nom de scène que tu t’es trouvé ou bien t’appelles-tu réellement comme l’héroïne du Fantôme de l’opéra de Gaston Leroux ?
Salut Julien, c’est un nom de scène effectivement, et je suis bien tombée dessus à la lecture de ce livre à l’époque. D’autant que je suis également une soprane, comme l’héroïne. Et comme elle, je suis protégée par l’Ange de la musique… enfin j’espère !
Pour le moment, on n’a pu entendre qu’un seul titre issu du nouvel album, Mille Silences. Le son de guitare est particulièrement lourd et accrocheur. Était-ce une de tes ambitions, pendant la composition, d’aboutir à un album au son très « heavy » ?
J’ai toujours eu des influences plus extrêmes que mes anciens compères. À notre séparation, ça a été l’occasion pour moi d’ajuster un peu le son d’Elyose vers cette direction dans laquelle je me reconnais beaucoup plus.
J’aime beaucoup le clip de Mille Silences, avec cette imagerie de science-fiction cyberpunk. La SF, est-ce un genre littéraire ou cinématographique qui compte beaucoup à tes yeux ?
Oui, c’est le genre qui parle le plus du monde dans lequel on vit et des choix de société que l’on fait. Les dystopies accentuent des aspects de notre monde actuel en explorant les perspectives futures et nous interrogent sur ce que nous construisons pour le futur. Le transhumanisme, le machinisme, l’intelligence artificielle, ce ne sont pas réellement des thèmes de « fiction scientifique », mais plutôt de philosophie contemporaine ! Il suffit de lire Orwell : tout ce que nous vivons actuellement avait été prédit dans 1984 ! Accessoirement, l’esthétique cyberpunk est parfaitement en phase avec l’univers d’Elyose … D’ailleurs, j’attends Matrix 4 avec impatience !
En revoyant les clips d’Elyose, parmi les dénominateurs communs, j’ai relevé ici et là des petites touches « fetish » qui pimentent agréablement le spectacle. Et alors, à mes yeux, il manque une chose et une seule au clip de Mille Silences : un plan sur les talons de cette incroyable paire de bottes de chez Pleaser Shoes que tu portes dans la vidéo mais qu’on ne fait qu’entrevoir. Zut alors ! Que s’est-il passé sur le banc de montage ?
(rires) Ça n’était pas faute de harceler Brice (le réalisateur) pour qu’il les insère ! Plus sérieusement, ce clip n’était pas la parfaite occasion de les arborer mais je n’ai pas dit mon dernier mot ! À moins que j’opte pour mon pilou-pilou Panda de confinement mais ça risque de surprendre !
Le chant en français (pour la plupart des titres) est une caractéristique d’Elyose, alors même que tu t’exprimes très bien en anglais. Le français comme langue principale des chansons, est-ce un choix artistique ? politique ?
Politique je n’irais pas jusque-là, je fais de la musique et je ne souhaite pas tout mélanger. C’est plutôt un choix artistique, je pense que personne ne se plaindra d’un manque de chansons en anglais, alors que l’inverse… Si j’ai continué sur cette voie après trois albums, c’est que ça a plutôt fait mouche, que ce soit pour affiner ma niche musicale ou bien permettre un peu l’exportation de notre langue, ce qui me donne une certaine fierté il faut bien l’avouer. Le graal c’est quand certains me confient avoir poursuivi ou persévéré dans leurs études de français grâce à Elyose… Ceci dit, Persona contient deux titres en anglais, exceptionnellement : ça correspondait à mon envie du moment.
Y a-t-il des sujets qui comptent beaucoup pour toi et que tu tiens à aborder dans les paroles des chansons ?
Je me suis attaquée à l’égo et au paraître à l’heure d’Internet, notamment aux « haters » et à cette compétition de plastique parfaite sur Instagram avec les recommandations de filtres, la chirurgie esthétique pour ressembler à un idéal de beauté et référer sa valeur aux likes. Moi-même je fais un métier narcissique et bien qu’au cœur de cette machine je me permets d’en témoigner les effets pernicieux… Et dangereux. J’aborde aussi, dans Metropolis, la bulle urbaine dans laquelle nous vivons, un peu hors du monde et la manière dont ce microcosme peut corrompre le corps et l’esprit… J’essaie de parler du monde que j’observe tout simplement.
Les trois premiers albums d’Elyose ont été enregistrés avec des musiciens qui ont quitté le groupe, semble-t-il tous en même temps, ce qui n’est pas banal… Comment cette séparation s’est-elle déroulée, et comment l’as-tu vécue ? A-t-il été facile ou pénible de reprendre le groupe en solo et de t’engager dans une nouvelle phase d’écriture ?
À vrai dire je n’ai pas été abandonnée, j’ai moi-même mis fin à la collision entre deux planètes diamétralement opposées, l’une dans laquelle la musique est un passe-temps et un prétexte pour se changer les idées, l’autre dans laquelle c’est un métier qui demande de l’investissement, de la patience et surtout de prendre en compte le monde dans lequel on vit aujourd’hui, très loin des années 80 où les réseaux sociaux n’existaient pas et ou les labels étaient un passage obligé. Ma grosse différence d’âge avec eux n’a pas aidé, quand on a vécu dans un tel paradigme toute sa vie, il est difficile d’en sortir. Cette séparation a été une véritable délivrance et un coup de fouet dans ma carrière. L’écriture a été aussi beaucoup plus fluide et beaucoup plus naturelle parce que je me suis entourée de musiciens qui me ressemblent, c’est-à-dire dont la musique est un vrai travail en plus d’être une vraie passion.
À la fin du clip de Mes 100 Ciels, des musiciennes prennent la place des musiciens. Lorsque tes trois acolytes masculins sont partis, t’est-il venu à l’idée de les remplacer tous par des filles ? Le fait est que des groupes de metal féminins, il y en a quelques-uns maintenant, et ce ne sont pas les moins heavy…
Je ne recruterais pas quelqu’un pour son sexe mais plutôt pour son talent, sa rigueur, son professionnalisme et sa maturité. Donc homme ou femme ça n’a aucune importance. Si j’ai travaillé cette fois avec des hommes c’est un hasard total. Bon en vrai, ils sont surtout plus obéissants ! (rires)
Pour le nouvel album Persona, tu as collaboré avec de nouveaux musiciens. Pourrais-tu nous les présenter ? Comment es-tu entrée en contact avec eux ?
J’ai donc travaillé avec Maxx Maryan (Helalyn Flowers), Anthony Chognard (ex Smash Hit Combo, The Black Russian’s) et Jean-Baptiste Thomas-Sertillanges (Klub Stalingrad). Petite équipe mais costaud ! J’avais repéré leur travail déjà avec leurs groupes respectifs. J’étais très impressionnée par la prod et l’univers de Smash Hit Combo depuis longtemps alors j’ai tout simplement contacté leur guitariste compositeur. Pour la petite anecdote, on voulait prendre un RDV téléphonique mais comme Anthony vit au Canada, il n’était pas très simple de trouver un moment convenable pour tous les deux avec le décalage horaire. Il m’a alors dit « Ne t’inquiète pas, je peux mettre mon réveil la nuit » ! J’ai été frappée par tant d’engagement et je ne m’étais pas trompée sur le fait qu’il est très professionnel, très impliqué et, au-delà de ça, humainement très sage et mature. La perle rare !
Pour ce qui est de Maxx, je m’étais dit depuis un moment que son univers gothique-industriel collerait super bien avec Elyose et je travaillais déjà avec sa femme qui a été ma graphiste. Je lui ai alors demandé de me le présenter, on a fait des essais et il a très bien compris toutes mes directions artistiques et s’est également montré très impliqué dès le début. Quant à Jean-Baptiste, il m’a aidée à affiner les mélodies, les grilles d’accords et les structures des morceaux, à matérialiser mes idées sur les textes. Je lui apporte la matière première et il a le don pour mettre les dernières touches finales qui transcendent un morceau. Il vient d’un univers plus rock, mais pour moi, c’est une machine à tubes et j’apprécie énormément son travail sur Klub Stalingrad, son dernier projet.
Elyose fait partie des groupes qui, aujourd’hui, produisent leur musique sans l’appui d’un label. Ta démarche constitue-t-elle la preuve que des musiciens, aujourd’hui, peuvent très bien se passer de signer un contrat avec une maison de disque ? Car pour un artiste, cela implique beaucoup d’efforts en termes de communication, de promotion — des aspects du métier qu’il faut alors prendre en charge soi-même…
Il n’y a rien aujourd’hui en 2021 qu’un label puisse faire que tu ne puisses pas faire toi-même. Oui c’est un gros travail mais pas plus que n’importe quel métier. J’ai dû apprendre le business mais ça ne doit pas être un gros mot. Comment prétendre vouloir vivre de la musique sinon ? « La réussite, c’est un peu de savoir, un peu de savoir-faire et beaucoup de faire-savoir. » Je ne sais plus qui a dit ça, mais il a tout dit ! D’autre part, j’ai une relation très amicale avec mon public et personne ne le connait mieux que moi-même, donc il me paraît tout à fait naturel de m’adresser à eux directement. C’est un leurre de croire que l’on peut déléguer cette part du métier.
Elyose enregistre et « tourne » depuis un certain nombre d’années. Quelles ont été pour toi les rencontres les plus marquantes que tu as faites dans le monde musical ? Te sens-tu des affinités particulières avec d’autres groupes français de la scène metal ?
La raison pour laquelle je bénis internet, c’est tout simplement parce que les grandes rencontres que j’ai faites ont été par ce biais. Comme tu le dis j’ai pas mal tourné et rencontré à cette occasion beaucoup de monde, mais les groupes/artistes de qui je suis proche aujourd’hui ne viennent pas de là. Je parlais de Smash Hit Combo tout à l’heure dont je commence à connaitre les membres et c’est un exemple de groupe français avec lequel je me sens des affinités, bien que rencontré principalement par internet. J’aimerais aussi rencontrer le groupe Dust In Mind, avec qui j’ai beaucoup en commun, mais que je n’ai jamais vu en vrai. Je pense aussi à Heartlay, si on doit rester en France.
La musique d’Elyose relève du metal indus/nu metal… Tu te situes à la croisée de plusieurs styles. Y a-t-il des sous-genres de la musique metal que tu n’apprécies pas tellement (voire pas du tout) ? Ou au contraire que tu apprécies, sans pour autant t’y consacrer toi-même en tant qu’artiste ?
Le Metal est un genre de musique tellement vaste qu’il y en a vraiment pour tous les goûts. En ce qui me concerne, je ne me suis jamais reconnue dans les styles Heavy Metal/Hard Rock. Le son Metal des années 80, c’est pas ma came. Le Power Metal non plus, ce n’est pas pour moi. À part ça, tant que la musique est bien écrite, je reste plutôt éclectique ! Je suis une grande amatrice de Djent, Nu Metal et Gothic Metal en particulier.
Ton rêve se réalise : un(e) chanteur/euse que tu admires tout particulièrement se déclare partant(e) pour un duo sur le prochain single/album d’Elyose ? De qui s’agirait-il ?
Le chanteur à qui je pense immédiatement c’est Spiros Antoniou de Septic Flesh, un de mes groupes-cultes. Le chanteur de Gojira aussi. Je préfère miser sur le contraste des voix, comme je l’ai toujours fait avec mes guests, plutôt que de prendre une autre chanteuse avec un timbre similaire.
En tant qu’auditrice, quel est le dernier album que tu as découvert ?
C’est l’album Sky//Light de Dizorder, qui m’a beaucoup plu d’ailleurs !
Et quel est le dernier album que tu as adoré, de la première à la dernière note ?
Alors l’album n’est pas encore sorti mais je l’attends avec impatience parce que j’ai adoré les titres déjà disponibles : il s’agit de Horskh. Des Français en plus. Un vrai coup de cœur !
Merci beaucoup pour tes réponses, Justine !
Merci à toi !
Propos recueillis en janvier 2021. Sortie de l’album Persona le 18 février 2021.