Que sait-on de la vraie « Comtesse sanglante », Erzsébet Báthory ? Que l’aristocrate fut accusée, jugée et reconnue coupable de tortures et d’assassinats de jeunes femmes dans la Hongrie du XVIe siècle, et qu’on la condamna à l’enfermement dans son château du village de Čachtice jusqu’à la fin de ses jours, qui survint en 1614. Veuve d’un chef militaire qui s’était illustré dans la guerre contre les Ottomans, était-elle coupable des dizaines, voire des centaines de crimes qu’on lui imputa ? Ou bien fut-elle le jouet d’une machination visant à la spolier de ses biens ? Plus de quatre siècles après les faits, impossible d’affirmer quoi que ce soit, la vérité git enfouie dans les catacombes de l’Histoire. Reste la légende, aux contours démesurément enflés, dont l’ouvrage que voici constitue l’une des manifestations les plus perverses, malfaisantes et séduisantes.
Les pages d’introduction dévoilent Bathory, revenue vampire d’entre les morts, en plein festin nécrophage (« Plonge tes dents dans la cervelle bien proprement, intime-t-elle à la jeune goule qui l’accompagne, ou tu vas gaspiller le liquide putride qui s’échappe par le crâne »). Le cimetière tout autour est plongé dans la nuit et dans les litres d’encre noire où Raúlo Cáceres (Les Saintes Eaux) plongea ses pinceaux pour exécuter cette toute première série dessinée. Elisabeth Bathory est en effet l’œuvre de jeunesse de l’artiste, publiée initialement par épisodes en Espagne (en 1998-99) puis aux États-Unis entre 2002 et 2004. Au total, vingt-et-un chapitres ici compilés pour la première fois en français dans un imposant volume de 180 pages. Dans ses propos en préface, Cáceres n’est pas loin de présenter des excuses en avertissant le lecteur d’un « dessin immature » et de « textes imparfaits », un excès de modestie venant de l’Espagnol car, si les premières planches n’affichent pas tout à fait l’assurance du trait qu’on lui connaît, le style s’affine bien vite pour déployer la galerie de tableaux macabres et orgiaques qui viennent ensuite.
La comtesse hongroise se baigna-t-elle vraiment, comme on le raconte, dans le sang des vierges pour préserver sa beauté ? Qu’importe ! L’imagination de Cáceres met en scène, avec Elisabeth, une « créature libérée, maligne et heureuse », et par là même fascinante, au fil d’un récit au long cours où elle s’épanouit dans tous les vices. Il est aussi question d’un spécimen rare de vampire, le « varcolaci », poursuivant une quête qu’il serait avisé d’empêcher. Le scénario voyageur et documenté explore le mythe sous ses multiples incarnations folkloriques (le buveur de sang des Carpathes n’est pas le seul monstre du genre, on en trouve des équivalents en Asie, en Afrique…), et les nombreux personnages se croisent au gré d’une collection ébouriffante de perversions (si la narration s’avère parfois chaotique, les scènes d’orgies et de sabbat ne manquent pas, et tous les dialogues ou presque sont échangés au cours d’ébats sanglants s’étalant avec exubérance au-delà de toute frontière de cases). Emblème féminin du mal, Bathory, précisons-le, a inspiré leurs noms à plusieurs formations de black metal, courant de musique extrême associé à une esthétique visuelle en noir et blanc qu’on retrouve pleinement dans les planches contrastées de Raúlo. Une zik qui ne sied pas à toutes les oreilles, et un ouvrage dessiné à ne pas mettre non plus entre toutes les mains.
Lecteur averti, Elisabeth Bathory guettera ta venue en librairie à partir du 9 décembre 2021.