Après un coup d’essai semi-pro en 2009 au titre bien trash (Dead Hooker in a Trunk, autrement dit « la pute morte dans un coffre de voiture »), les jumelles Jen et Sylvia Soska, a.k.a. The Twisted Twins, ont fait sensation dans le circuit des festivals de cinéma fantastique grâce à ce second film présenté depuis six mois un peu partout, du continent américain à l’Europe en passant par l’Australie. American Mary voit le retour en tête d’affiche de Katharine Isabelle (l’une des covedettes de la trilogie lycanthrope Ginger Snaps (1999-2003), qui n’a pas connu une carrière florissante par la suite) dans le rôle d’une aspirante chirurgienne, Mary Mason, sur la brèche pour satisfaire les désirs spéciaux d’une clientèle avide de modifications corporelles extrêmes. Un duo de réalisatrices rock’n’roll et sexy, qui adorent vanter leur film en cuissardes et minirobes, une actrice familière des fans d’horreur, un sujet sulfureux… il n’en fallait pas plus pour créer l’événement, à condition bien sûr que l’objet fini soit à la hauteur des attentes suscitées.
Concises et efficaces, les premières minutes posent rapidement l’héroïne, étudiante en médecine fauchée qui a du mal à joindre les deux bouts tandis qu’à la fac et à l’hôpital, ses enseignants la mettent sous pression pour qu’elle livre le meilleur d’elle-même. Il faut faire face sur les deux fronts, aussi Mary s’engage sur la voie d’un argent qu’elle espère facile en répondant à l’annonce d’un club de nuit en quête de strip-teaseuses. L’entretien d’embauche avec le proprio mafieux prend un tour surprenant lorsque le type, au fait des compétences médicales de Mary, lui propose une jolie somme pour rafistoler un malfrat. Le destin de la jeune femme paraît d’un coup tout tracé, elle deviendra chirurgienne underground. Une orientation facilitée par un très sale tour que va lui jouer un de ses profs, le docteur Grant, un mandarin du genre brutal qui emploie trop souvent le mot « fuck » pour être honnête… Approchée par une fille du night-club adepte des remodelages hardcore au scalpel, Mary quitte la fac et lance son petit commerce illégal de boucherie plasticienne.
Les sœurs Soska n’ont pas froid aux yeux, ce sont des nanas sûres de leur fait, qui rentrent dans le lard cash, et elles entendent bien que leur créature leur ressemble. Le scénario ne s’embarrasse pas de fioritures psychologiques pour présenter Mary et légitimer ses actes. Le thème de l’effeuillage et de la prostitution estudiantine, qui ailleurs aurait pu donner lieu à un long métrage entier, est ici une simple étape que l’héroïne aborde sans ciller (il faut la voir débouler à la boîte de nuit en bustier et porte-jarretelles sous son manteau noir !). Un rien déstabilisée par sa découverte de l’univers des modifs corporelles et des incroyables « freaks » qui le composent, Mary l’Américaine reprend vite son assurance pour mettre à profit son esprit d’entreprise et encaisser les billets verts grâce au bistouri. Jen et Sylvia Soska ont-elles donc érigé un monument déviant à la gloire du capitalisme US ? Non, les Canadiennes ont imaginé un conte à la fois très noir et moral, et les actes chirurgicaux exécutés par « Bloody Mary » auront d’autres conséquences que simplement pécuniaires. Il y aura un retour de bâton, inattendu, dévastateur.
Outre son caractère de fable moderne, American Mary a été conçu comme un spectacle grand-guignolesque qui fera triquer plus d’un goreux, quitte, parfois, à mettre à mal la vraisemblance médicale (eh non, on ne peut pas amputer puis regreffer des bras en deux temps, trois mouvements, qui plus est en opérant juchée sur des talons-aiguilles !). On regrette aussi que certains protagonistes ne fassent que de brèves apparitions alors qu’ils pouvaient donner lieu à des développements plus poussés (telles les deux Berlinoises jouées par les auteures elles-mêmes). Ce sont les choix des Soska, on est d’accord, ce qui n’empêche pas la frustration de pointer régulièrement, ici et là. Cela dit, American Mary réussit à remplir une bonne partie de son contrat : le film est une virée parfois perturbante dans une étrange réalité parallèle, sorte de Midian planqué entre deux strates de la société moderne. Et donc il fascine, porté par une galerie de « monstres » totalement autres et par une comédienne, Katharine Isabelle, presque de tous les plans et qui se révèle sensationnelle dans un rôle écrit pour elle. La dérive ultra-violente dans laquelle se laisse embarquer son personnage lui donne la chance de livrer une composition, selon les séquences, toute en nuances ou en excès. Au contact du sang, l’étudiante sans le sou devient une créature hyper-sexuée et dangereuse, une véritable icône reflet de nos fantasmes fétichistes, voire sadomasochistes. Souhaitons à l’actice que « Bloody Mary » puisse donner un sérieux coup d’accélérateur à sa carrière, treize ans après le faux départ que fut pour elle le rôle-titre de Ginger Snaps…
DVD et blu-ray sont disponibles depuis le 21 janvier 2013 en import UK. Pas de date de sortie française officielle pour le moment… A ne pas manquer sur Khimaira, notre entretien avec Jen et Sylvia Soska !