Au programme des sorties dvd de la semaine, on trouve Iron Man 2, oui, mais il y a aussi Amer, d’Hélène Cattet et Bruno Forzani. Des films aux vocations diamétralement opposées et qui, pourtant, se rejoignent sur un point : tous deux donnent à voir, sans compter. Mais là où la superproduction tape-à-l’œil de Jon Favreau cantonne le public au rôle de « voyeur » passif, Amer entraîne le spectateur dans un voyage sensoriel étonnant où l’excitation de la rétine va de pair avec celle de la matière grise.
Il est vrai qu’Amer est un film qu’il est souhaitable d’avoir découvert en salles, sur grand écran, pour rendre justice au formidable travail de plasticien des co-réalisateurs (on le sait, cela n’a été possible que pour une poignée de happy few, le métrage n’ayant fait l’objet que d’une diffusion en catimini, en mars dernier, dans une combinaison de seulement trois copies — vous pouvez lire ici la critique du film que j’ai publiée cette semaine-là sur Khimaira). Mais le dvd a tout de même un avantage sur la salle de cinéma : il est possible d’appuyer sur « pause » pour non seulement contempler la beauté du cadre, mais aussi pour saisir une à une les pièces du puzzle symboliste — objets, animaux, tableaux — que le montage révèle et tout à la fois dissimule par la fugacité de nombreux plans. Comme me l’a déclaré Bruno Forzani, « nous avons écrit le film de manière à ce qu’à chaque vision, le spectateur puisse l’aborder avec une nouvelle grille de lecture. Ainsi, on va découvrir à la deuxième vision des choses passées inaperçues à la première. C’est un film qui est fait pour être vu plusieurs fois. » (cf. l’interview des deux auteurs, réalisée au 17ème Festival de Gérardmer).
Le visionnement d’Amer, pour peu qu’on veuille se prêter au jeu, relève ainsi d’un travail stimulant de sémioticien. Que signifie la présence de verre pilé répandu sous les lits, dans le premier chapitre ? Pourquoi la mystérieuse Graziella, silhouette noire sans visage, glisse-t-elle un moineau mort entre les mains du grand-père décédé ? Quant à la broche dorée en forme de scarabée décorant la veste de l’aïeul, quelle importance faut-il lui accorder ? Cet inventaire fétichiste peut se tenir tout au long du métrage, soulevant des questions auxquelles il appartient au spectateur de chercher une réponse, au risque, peut-être, de tomber dans la surinterprétation, écueil fatal de ce genre d’exercice. La piste à suivre, en tout cas, semble psychanalytique, comme l’invite à penser le portrait de Sigmund Freud ornant le mur du grand escalier, dans la villa d’Anna…
Au-delà de ces interrogations, Amer a lancé un débat. Le film se réclame du giallo, genre autrefois populaire mais surtout connu et apprécié aujourd’hui des cinéphiles les plus pointus. Cependant, d’aucuns aiment à marteler qu’Amer n’appartient pas au genre, déplorant l’absence d’une intrigue criminelle. Un reproche qui n’est pas injustifié, mais par son esthétique, ses codes visuels, son atmosphère, la pellicule est à ce point trempée dans la culture cinématographique italienne qu’il n’est pas évident de trancher. Concernant leur prochain long métrage, Hélène Cattet et Bruno Forzani pourraient, cette fois, mettre tout le monde d’accord, ayant déclaré que leur second film, « pendant masculin d’Amer », bénéficierait « d’une narration totalement différente » et aurait pour trame une enquête à suspense…
Sortie du dvd aujourd’hui, 27 octobre (Wild Side Vidéo).
Image : 2.35, 16/9 compatible 4/3
Son : Français DTS 5.1 et Dolby Digital 2.0
Durée : 87’.
Suppléments : Liens internet, bande annonce. Le seul bonus conséquent est La Fin de notre amour, court métrage (9’) des deux réalisateurs. Tournée en 2004, cette fantaisie des plus crispantes (commentaire à prendre comme un reproche ou un compliment, selon votre sensibilité !) met en scène un homme nu (Jean-Michel Vovk, également au générique d’Amer) en proie aux affres masochistes de… la création ? (mais ce n’est qu’une interprétation !). Un court pour le moins abscons, d’un abord difficile et, malgré une très belle photo, éprouvant pour les yeux autant que pour les nerfs (gare aux images d’automutilation !).